dimanche 29 avril 2007

Le "fashion éthique" se sucre sur l'équitable




À l’occasion du troisième forum du commerce équitable. Une enquête démontrant la véritable sphère économique du commerce dit "éthique":

Cent pour cent fabriqué main. C’est ce que l’on peut lire sur toutes les étiquettes accompagnant les produits du commerce équitable. Le magasin associatif « Artisan du Monde » du Ve arrondissement vous garantit l’authenticité de ses produits de confection artisanale. Quand on pénètre dans un magasin de commerce équitable, on est surpris par la diversité des produits. Ici vous ne trouverez pas de chapeaux péruviens ou autres flûtes de pan, clichés de ces produits du monde, vendus à la sauvette. Ce magasin est une véritable invitation au voyage. Des sandales indiennes, aux statuettes de bronze du Mali, en passant par l’alpaga du Pérou et les fauteuils en feuille de bananiers, vous dénicherez LE cadeau couru des soirées parisiennes.

Séduire pour éduquer le consommateur ?

S’il est important de communiquer afin de faire la promotion du commerce équitable, il est aussi primordial de faire la part entre ce qui relève réellement de l’économie solidaire, et l’action de distributeurs peu scrupuleux. Profitant de la vague ils séduisent une clientèle toujours à la recherche du “dernier cri“. Certaines associations continuent à développer leurs filières propres de commercialisation, avec leurs propres boutiques tenues par des bénévoles. Mais d’autres acteurs du commerce équitable viennent se greffer au circuit plus traditionnel des grandes surfaces. Comme nous l’avons vu plus haut pour ces derniers, cette évolution est favorable et permet au commerce équitable de prendre un nouvel envol. Mais souvent, derrière les étiquettes, se cachent de grandes entreprises agro-alimentaires, qui achètent la matière première aux coopératives. Au Mali et au Sénégal, le coton équitable Max Havelaar est acheté par de grandes compagnies dont l’activité empêche les petits producteurs d’Afrique de l’Ouest de s’émanciper, ce qui va à l’encontre de la déontologie même du commerce équitable.

La locomotive du magasin : ce grand rayonnage en bois de produits alimentaires de grande consommation, en provenance du monde entier sous label Max Havelaar, Alter Eco ou Oxfam. Vous y découvrirez des chips du Costa Rica et du Beuk Coca équitable. Bonheur d’un apéritif exotique. Serait-ce un moyen de cibler cette nouvelle clientèle de la fashion éthique ? Ce jour là, une femme à l’allure distinguée flâne parmi les productions artisanales de déco. Son choix : une gamme de verres dont le prix n’a rien à envier à la qualité du cristal d’Arques. Elle souhaite offrir un service à whisky, mais hélas, l’artisanat équitable ne propose pas encore ce créneau. Les bobos sont exigeants le commerce équitable n’a qu’à bien se tenir.


"VOUS DONNEREZ DU SENS A VOS ACHATS."

Michèle, chargée de la vente des produits pour Artisan du monde, est la seule à être salariée sur quatre personnes. Tous sont bénévoles : « Je suis salariée de l’État. La région Ile de France règle mon salaire. Je suis en contrat aidé. »

L’activité militante des magasins ne se limite pas à la vente et à l’information du consommateur. Des activités en région sont organisées avec les lycées dans lesquels des référents d’enseigne locale « Artisan du Monde » proposent des repas afin de sensibiliser les plus jeunes.
Leur approvisionnement est assuré par une centrale d’achat intégrée à la fédération : Solidar’Monde.
Ses objectifs : créer des offres pour les magasins spécialisés, des outils pour démarcher les collectivités et les entreprises. « Nous sommes une filière intégrée de la fédération “Artisan du Monde “ » précise Sébastien, commercial de la centrale Solidar’Monde, présent au 3e forum national du commerce équitable. Il précise le sens du concept intégré : « La centrale règle à l’avance 50% de la production afin de préserver le producteur des fluctuations du marché, et d’assurer un prix fixe jusqu’à la vente du produit ».

" Max Havelaar est un label, c’est un logo vendu aux producteurs."

Jean-Claude, chargé de la gestion du magasin pilote “Artisan du Monde“ du 13e arrondissement, s’indigne de la vision d’autres associations telles que Max Havelaar ayant choisies une politique d’extension du commerce équitable. « Max Havelaar est un label, c’est un logo vendu aux producteurs. Nous, nous sommes exigeants, nous faisons partie d’une filière intégrée du consommateur au magasin spécialisé. Pour nous être présents dans un supermarché ce n’est pas faire du commerce équitable. » Il précise encore « Artisan du Monde c’est de l’information au consommateur sur les produits, Max Havelaar ne garantit pas au producteur de vendre le produit. » L’éducation du consommateur est une dimension du commerce équitable. Les bénévoles sont responsables d’une campagne de sensibilisation. Pour Jean-Claude, les supermarchés ne s’intéressent pas à ça.

Max Havelaar mène une cause juste en matière de communication de masse par sa présence dans les supermarchés. Le grand public doit être touché et cela passe aussi par ces filières de grande et moyenne consommation. L’objectif des associations militantes du commerce équitable est de convaincre des acteurs économiques traditionnels de s’engager dans un processus d’échanges plus justes. C’est aussi démocratiser la consommation de produits équitables en la rendant accessible au plus grand nombre. S’il y a polémique à ce sujet, il faut plutôt se tourner vers le bien fondé de certaines labellisations faciles de produits du commerce équitable.

"La transformation du produit provient des filières industrielles traditionnelles."

Au Forum du commerce équitable à la Cité des sciences et de l’industrie, de nouveaux produits envahissent la sphère du “fashion éthique“. La naissance des marques de luxe du prêt à porter équitable voient le jour. Terminée l’époque des chemises de chanvre qui vous démangent et les sandales baba cool . Citons cette nouvelle venue dans le monde de “l’ethical street wear“ : Nuethic. Distribuée depuis quatre semaines en France, elle fait un tabac en Angleterre. Si la fabrication de la gomme des semelles est issue du marché équitable, la transformation du produit reste partie intégrante des filières industrielles traditionnelles. Le produit est séduisant, labellisé Max Havelaar. Mais certains s’interrogent quant au véritable transfert de technologie ou de formation apporté aux petits producteurs de gomme issue d’une agriculture bio. Où est l’aspect durable et soutenable de cette dépendance des petits producteurs envers les géants de l’agro-alimentaire ?